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La stabilité financière - Des enjeux des nouvelles normes internationales au rôle de la banque centrale
Discours prononcé par Monsieur Yves Mersch,
Président de la Banque centrale du Luxembourg,
à l'occasion de la 11ième réunion des gouverneurs des Banques centrales des pays francophones
10 juin 2004
Seule la Parole prononcée fait foi
Le système financier international a généralement bien résisté aux adversités économiques, aux turbulences financières et aux chocs géopolitiques de ces dernières années. Aujourd'hui, tout en espérant des eaux plus calmes avec la reprise économique en cours, nous nous trouvons confrontés à une convergence de plusieurs réformes réglementaires importantes. Ces réformes sont susceptibles d'avoir une influence structurelle sur l'industrie financière.
Les nouvelles normes internationales
L'intérêt des nouvelles normes internationales pour une banque centrale découle surtout de son rôle dans le domaine de la stabilité financière. Trois principaux chantiers de réformes sont actuellement en cours : les règles de solvabilité des banques, les normes comptables et le gouvernement d'entreprise.
Le nouveau cadre de solvabilité des banques, « Bâle 2 »,est fondé sur trois piliers :(1) des exigences minimales en fonds propres ; (2) l'examen des risques par le contrôleur prudentiel, et (3) la dissémination d'informations au public. L'intérêt de ce nouveau cadre pour une banque centrale découle de son impact potentiel sur le profil de risques et sur la solvabilité des banques, et de là sur la stabilité financière. Bâle 2 vise à faire face aux risques réels des banques ; ce fait est positif. Une meilleure sensibilité aux risques signifie néanmoins une influence accrue de l'environnement macroéconomique sur les décisions des banques. Ceci risque de mener à une accentuation de la pro-cyclicité dans l'octroi du crédit. Si la norme accentue par conséquent les effets du cycle économique, elle accroît le danger d'instabilité. Ces préoccupations, qui ont fait l'objet de commentaires officiels du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, ont été prises en compte. Les textes finaux ne sont pas encore mis en pratique. Une attention continue à cet égard reste de mise. Il apparaît néanmoins que la mise en œuvre de « Bâle 2 » se réalisera de manière différenciée : a) Applicable à toutes les banques et entreprises d'investissement dans l'Union européenne par le biais d'une Directive ; b) Applicable uniquement aux banques avec une activité internationale aux Etats-Unis et dans certains autres pays ; enfin c) Non applicable tout simplement dans certains autres pays. Ceci pose le problème de l'équivalence des conditions de compétitivité au niveau international.
En matière de règles comptables, la réforme s'estorientée vers une plus grande application de la juste valeur (« fair value »). La Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a exprimé ses réserves du point de vue de la prudence, à l'encontre des normes dites IAS 32 et 39 relatives aux instruments financiers, avec le résultat que l'application de la juste valeur est désormais limitée à un ensemble restreint d'instruments. Les polémiques autour de la juste valeur ont en effet révélé la tension fondamentale entre le point de vue des investisseurs et celui des autorités et des entreprises. Les premiers demandent une évaluation au jour le jour, les derniers prônent plutôt une évaluation à long terme. Tout comme pour les règles de solvabilité, une évaluation de l'impact des nouvelles règles comptables, ainsi que la question de la convergence internationale en la matière, notamment celle entre les normes IAS-IFRS (International Accounting Standards - International Financial Reporting Standards) et les normes US-GAAP (Generally Accepted Accounting Principles), revêtiront une importance particulière.
Le troisième chantier normatif est celui de du bon gouvernement de l'entreprise (« corporate governance »). Il constitue un élément crucial pour le maintien de la stabilité financière. Les entreprises financières ne sont pas les seules concernées. Des révélations d'abus retentissants ces dernières années, touchant surtout des entreprises non-financières, ont révélé de sérieuses déficiences en matière de transparence comptable et de mécanismes de contrôle interne etexterne. Ces événements n'ont heureusement pas eu de répercussions durables sur la stabilité financière, grâce notamment à la limitation des grands risques auprès des banques. Les efforts en cours appellent une réglementation plus formelle et plus rigoureuse, couplée à une vigilance accrue de la part des actionnaires et des autorités.
Le rôle de la banque centrale dans la stabilité financière
Je ne voudrais pas manquer de remettre les remarques concernant les éléments prudentiels énoncés ci-avant et susceptibles d'avoir un impact systémique sur la stabilité financière, dans le contexte de la nécessité pour une banque centrale d'être intégrée dans un cadre de surveillance approprié.
Originairement, le rôle d'une banque centrale en matière de stabilité financière résulte de la combinaison de son rôle de gardien de la monnaie et de la participation des banques commerciales dans le processus de la création monétaire. La valeur de la monnaie scripturale émise par les banques commerciales dépend de la solidité de ces dernières. La mission de la banque centrale quant au bon fonctionnement et à la stabilité du secteur est donc liée à la confiance publique dans la stabilité et la sécurité du moyen de paiement.
Le secteur bancaire est un système dont les entités individuelles sont étroitement liées par les systèmes de paiement et par le marché interbancaire. Une banque centrale doit s'intéresser à la robustesse de ses contreparties. Elle doit aussi veiller au bon fonctionnement du système financier. A cet effet, elle assume un rôle de fournisseur ultime de liquidité et de moyens de paiement stables.
La stabilité financière contribue à la stabilité des prix; la stabilité des prix contribue à son tour à renforcer la stabilité financière.
La réalité financière d'aujourd'hui est caractérisée par l'intensification simultanée des échanges internationaux et des liens entre les différents segments de l'industrie financière. L'effacement des délimitations sectorielles et nationales a stimulé l'intégration et la consolidation du secteur. Ce nouveau contexte va de pair avec un accroissement des effets potentiels de crises financières. L'émergence d'importants groupes bancaires et financiers, le grand volume des flux financiers, ainsi que l'augmentation de l'intermédiation directe par le marché, constituent une amplification des canaux potentiels de contagion. Ces développementsne sont pas sans poser de nouveaux défis aux autorités pour prévenir et au besoin, réagir en cas de crise.
En effet, une banque centrale aura des difficultés à assumer ses responsabilités concernant la stabilité monétaire, qui est directement reliée à des considérations de stabilité financière et de risques systémiques (y inclus la prévention et la gestion des crises), sans être impliquée dans la surveillance du secteur bancaire. Une telle implication peut se faire directement ou grâce à des accords de coopération adéquats. L'accès de la banque centrale aux informations micro-prudentielles est une condition d'efficience dans la gestion de crise.
La consolidation de la surveillance des différents secteurs financiers en une seule institution est mise en œuvre dans plusieurs pays européens, comme au Royaume-Uni, en Hongrie, en Allemagne, en Autriche ou plus récemment en Irlande. Ces adaptations institutionnelles n'ont pas remis en cause l'implication générale des banques centrales nationales dans la surveillance. Au sein de la zone euro,certaines banques centrales assument une responsabilité directe dans la surveillance micro-prudentielle, d'autres sont impliquées indirectement dans cette mission, d'autres encore ont un arrangement formel de coopération avec le superviseur. Je dois constater que la Banque centrale du Luxembourg est l'unique banque centrale nationale de l'Eurosystème dépourvue d'un rôle légal quelconque dans la surveillance des banques individuelles et d'un arrangement de coopération formel avec le contrôleur bancaire à ce stade.
Conclusion
Les nouvelles normes internationales devraient contribuer à améliorer le cadre de la stabilité financière ; elles intéressent les banques centrales dans la mesure où elles sont susceptibles d'avoir un impact sur la stabilité du système financier; les considérations de stabilité financière et de risques systémiques appellent la nécessité pour une banque centrale d'être intégrée dans un cadre de surveillance approprié.