Film sur les missions et activités de la BCL
L'incidence de l'élargissement (et de la future constitution) sur les services financiers
Serge Kolb, Directeur de la Banque centrale du Luxembourg
Congrès annuel de l'Union des Avocats Européens
18 juin 2004
Seule la Parole prononcée fait foi:
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d'abord remercier les organisateurs de m'avoir invité à ce Congrès de l'Union des Avocats européens pour vous faire part de quelques réflexions sur le développement des services financiers en Europe.
Le sujet de l'incidence de l'élargissement et de la future constitution sur les services financiers m'a été proposé. Effectivement, il s'agit de deux événements historiques cette année qui vont marquer de façon permanente et significative l'identité de l'Union européenne, l'un par son extension, l'autre par son approfondissement.
Le projet de Constitution est favorablement accueilli par l'Eurosystème. Dans son avis officiel du 19 septembre 2003, la Banque centrale européenne rappelle que ce projet simplifie, allège et clarifie le cadre juridique institutionnel de l'Union. Il accroît sa capacité à agir à l'intérieur comme à l'extérieur. Il est à espérer que cette Constitution entre en vigueur le plus rapidement possible. Le projet est raisonnable. Il est à considérer essentiellement comme une consolidation de l'acquis communautaire et comme un pas logique dans la voie de l'intégration européenne, dont, je le souligne, la réalisation du marché unique en matière des services financiers constitue un pilier indispensable.
La Constitution intègre, sans le modifier, le dispositif de l'Union économique et monétaire en vigueur depuis le Traité de Maastricht. Il offre, pour l'intégration des services financiers, un cadre législatif et réglementaire adéquat. Les juristes que vous êtes devraient apprécier que, dans ce domaine, l'un des plus réguliers de la vie économique, une définition plus claire des compétences législatives et administratives, exercées par les institutions démocratiquement contrôlées, représente en tant que tel une avancée majeure.
Ceci dit, je voudrais concentrer mon exposé sur l'impact de l'élargissement.
Marché unique - état des lieux
Aujourd'hui, près de 50 ans après l'adoption du Traité de Rome et son objectif de marché commun, près de 20 ans après l'adoption du programme du Marché unique, l'intégration financière n'est pas encore réalisée. Le marché reste segmenté, et hélas, il est encore loin d'atteindre son potentiel. Certes, les progrès réalisés sont remarquables. Plusieurs segments du marché, surtout de gros, ont atteint un niveau d'intégration élevé. Celui-ci est mesuré par la convergence des prix et la part des transactions transfrontalières. Depuis l'introduction de l'euro, le marché monétaire s'est bien intégré et le marché inter-bancaire n'est plus cloisonné. Cependant, la fragmentation nationale persiste, surtout dans les marchés des capitaux ainsi que les infrastructures de marché telles que les systèmes de paiement et les systèmes de règlement titres.
L'introduction de l'euro en 1999, en unifiant un élément crucial qui sous-tend tout système financier dans douze pays, a constitué un stimulant significatif. Le Plan d'action européen pour les services financiers, lancé en mars 1999 et prêt à être achevé d'ici l'année prochaine, adaptera le cadre législatif aux besoins d'un marché intégré. Il s'inscrit dans le contexte de la Stratégie de Lisbonne de mars 2000, selon laquelle l'Union européenne devrait devenir l'économie la plus compétitive du monde en 2010. Les organes politiques attachent donc beaucoup d'importance à la réalisation d'un marché financier intégré en Europe.
Ceci dit, il convient de relever que même dans une situation où il n'y a plus de discrimination des agents économiques, géographiques ou autres, dans leur accès et dans leur investissement en capital, et où les règles et les standards sont identiques pour tous, des facteurs continueront à favoriser la prestation locale des services financiers. Avez-vous déjà songé à confier vos épargnes à une banque en Finlande, par exemple? Je pense que pour la plupart d'entre vous, la réponse est non. En effet, à côté des barrières visibles de réglementation, de taxation ou de standardisation, il existe des obstacles moins visibles liés à l'avantage naturel de la prestation locale, comme la familiarité avec les particularités domestiques ou la préférence d'effectuer les transactions dans sa langue maternelle. Bref, les marchés de détail atteindront difficilement le degré d'internationalisation des marchés de gros. Un tel résultat sera dû, il faut le rappeler, à la préférence propre des agents économiques et non pas au manquement des autorités publiques à établir les conditions préalables à l'intégration des marchés.
L'incidence de l'élargissement - nouveaux Etats membres
Au 1er mai de cette année-ci, dix nouveaux pays ont rejoint les quinze anciens membres dans l'Union européenne. Il est intéressant de noter que dans la majorité de ces nouveaux pays, la restructuration post-communiste des années 90s a résulté en un secteur financier largement dominé par les institutions étrangères, surtout européennes. L'absence d'une infrastructure nationale développée a imposé à ces pays une politique d'ouverture à l'investissement étranger qui, il est à noter, a été largement à leur profit. Aujourd'hui, avec une structure d'intermédiation financière profondément modernisée, les citoyens de ces pays profitent d'un choix de produits beaucoup plus vaste et d'établissements financiers beaucoup plus solides qu'il y a quinze ans.
L'adhésion à l'Union européenne est un jalon important dans la transformation du système financier des nouveaux Etats membres. L'adoption de l'Acquis Communautaire ouvre les opportunités liées aux quatre libertés du Marché interne (libre circulation des marchandises, des personnes, des services et du capital), même si leur pleine réalisation devra attendre l'échéance de certaines mesures transitoires. L'adoption de l'euro au terme du processus de convergence, solidement inscrit dans l'agenda politique, donnera probablement un nouveau coup de pouce à l'intégration, tout comme ceci a été le cas pour les anciens membres.
L'incidence de l'élargissement - anciens Etats membres
En ce qui concerne les anciens Etats membres, l'incidence de l'élargissement est à l'heure actuelle encore peu visible. Ceci n'est pas étonnant : les nouveaux venus, bien qu'ils représentent ensemble un cinquième de la population de l'Union des quinze, ne comptent que pour 5% de leur produit intérieur brut. L'adhésion de ces pays ne modifie donc pas significativement les données du Marché interne. Les nouveaux membres constituent certes un marché à grand potentiel pour les établissements européens, mais à long terme uniquement, au fur et à mesure de la progression de leur convergence réelle avec les anciens membres et le rattrapage de leur niveau de vie. Si l'on exclue les cas exceptionnels de Chypre et de Malte, les huit nouveaux membres de l'Europe centrale et orientale n'atteignent aujourd'hui que près de la moitié du niveau de l'Union des quinze en termes du revenu par habitant, ajusté pour le pouvoir d'achat. Les avoirs de leurs banques, mis en rapport au produit intérieur brut de l'économie, n'atteignent qu'un tiers du niveau de leurs homologues en Europe occidentale. Les marchés des capitaux ainsi que les intermédiaires financiers autres que les banques, comme les fonds de pension ou les assurances, restent marginaux. Le potentiel de croissance et de diversification, et ainsi les possibilités d'affaires pour les intermédiaires financiers, seront donc considérables, mais à long terme.
A côté de leur qualité en tant que marché prospectif, un deuxième impact de l'adhésion des nouveaux Etats membres pourrait émaner de leur attrait en tant que fournisseurs des services financiers. Les moindres coûts et la moindre charge d'impôts, couplés à un personnel qualifié, attirent l'installation des entreprises et pourraient faire de ces pays une concurrence sérieuse pour les anciens membres.
Or, en dépit de leurs avantages naturels, il ne faut pas oublier ni les facteurs favorables à la prestation locale des services que j'ai mentionnés auparavant, ni l'effet de verrouillage (" lock-in effect ") des acteurs établis. En outre, dans le contexte actuel, il n'est plus aussi facile de créer un centre financier international comme l'ont fait par le passé l'Irlande ou le Luxembourg. Ainsi, la délocalisation massive de services financiers, par exemple du Luxembourg vers les nouveaux Etats membres, est, à mon avis, actuellement un scénario peu réaliste.
Le défi de l'ajustement institutionnel financier
Mesdames, Messieurs, permettez-moi d'aborder encore un sujet qui relève de nos missions institutionnelles et qui est étroitement lié à l'élargissement : la question de la réglementation et de la surveillance financière au sein de l'Union européenne.
L'ouverture du secteur financier des pays de l'Europe centrale et orientale à l'investissement étranger dans les années 90 a été un facteur propice important pour le déploiement des grands groupes financiers tel qu'on le connaît aujourd'hui. L'adhésion de ces pays met en évidence l'écart existant entre d'un côté une réalité financière de plus en plus pan-européenne, voire mondiale, avec l'émergence de conglomérats trans-sectoriels comme par exemple les groupes de bancassurance, et d'un autre côté la panoplie de règlements nationaux, qui multiplie les coûts de conformité pour les acteurs concernés, crée des possibilités d'arbitrage, freine le processus d'intégration, et de plus pourrait réduire l'efficacité de surveillance des autorités. En outre, l'intégration financière changera probablement les canaux de transmission du risque systémique au niveau européen.
Les autorités sont bien conscientes de ces nouveaux défis et les efforts d'adaptation sont en cours.
Au niveau national, l'on assiste dans plusieurs pays à une consolidation de la surveillance des différents secteurs financiers en une seule institution, en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni ou plus récemment en Irlande par exemple. Ces adaptations institutionnelles n'ont généralement pas mis en cause l'implication des banques centrales nationales dans la surveillance, ce que confirment aussi les réformes actuellement en cours en Italie. Les banques centrales ont un rôle essentiel à jouer dans la surveillance de la stabilité du système financier dans son ensemble et donc un intérêt vif dans l'évolution et la santé d'établissements individuels à envergure systémique. Ceci est intrinsèquement lié à la position des banques centrales au centre du système financier et à leur intérêt dans la préservation des mécanismes de transmission de la politique monétaire et la solidité des contreparties, dans les systèmes de paiement, dans les opérations en monnaie fiduciaire ou autres.
Au niveau européen, les efforts vont notamment vers un renforcement de la coopération transfrontalière. Les banques centrales et les autorités de contrôle bancaire de l'Union ont signé début 2003 un protocole d'accord en matière de coopération lors des situations de crise. La Directive Bancaire Coordonnée de 2000 est en révision, avec entre autres une importance accrue pour la surveillance consolidée et une obligation d'information à l'égard des banques centrales en cas de crise. Pour ce qui est de la réorganisation des dispositifs institutionnels, elle se base sur l'approche dite de Lamfalussy, d'après le nom du président du Comité des sages qui a élaboré en 2001 des recommandations sur la régulation des marchés européens de valeurs mobilières. En deux mots, l'approche Lamfalussy vise à renforcer la flexibilité et l'efficience du processus réglementaire en établissant une distinction entre le droit primaire, adopté par le Conseil Ecofin et le Parlement européen par la procédure de codécision, et le droit dérivé, dont la mise en œuvre est déléguée à des comités spécifiques. Après le domaine des valeurs mobilières, ces comités ont été créés pour le secteur bancaire et pour le secteur des assurances au tournant de cette année.
Conclusion
Pour conclure, l'élargissement de l'Union européenne met en évidence la nécessité, pour les acteurs du marché aussi bien que pour les autorités publiques, de s'adapter à une nouvelle réalité financière dictée par un effacement des frontières sectorielles et nationales et par une concurrence internationale accrue. L'arrivée des nouveaux Etats membres, bien qu'elle ne modifie pas sensiblement les repères du marché financier dû à la taille économique encore modeste de ces pays, pourrait cependant avoir un impact significatif sur l'orientation future de la réglementation et du marché européens. Les nouveaux membres de l'Europe centrale et orientale, étant beaucoup moins riches que leurs confrères de l'Europe occidentale, ont un intérêt particulier au bon fonctionnement du marché et à éviter une surcharge réglementaire inopportune. Par conséquent, ces nouveaux pays devraient devenir une force bénéfique contribuant à la réalisation d'un marché financier efficient, solide, libéré et intégré au sein de l'Union européenne.
Je vous remercie de votre attention.