Film sur les missions et activités de la BCL
Publication du cahier d'études 122 - LU-EAGLE: A DSGE model for Luxembourg within the euro area and global economy
Auteurs: Alban Moura et Kyriacos Lambrias
L'adoption de modèles d'équilibre général dynamiques et stochastiques (modèles DSGE, en abrégé) par les banques centrales et autres institutions publiques s'est développée au cours des dernières 15 années. Cette classe de modèles constitue un cadre particulièrement adapté à l'analyse des politiques économiques, de par leur nature structurelle et leur traitement cohérent des anticipations du secteur privé. En effet et par opposition avec les modèles macro-économétriques traditionnels, les modèles DSGE sont construits en accord avec la théorie microéconomique. En particulier, ils caractérisent la dynamique agrégée de l'économie à partir du comportement de plusieurs types d'agents (ménages, entreprises, autorité fiscale, autorité monétaire…), qui ont chacun un objectif propre, font face à différentes contraintes et interagissent ensemble sur les marchés. Selon leur spécification, ces modèles permettent d'étudier des phénomènes de court terme (cycles économiques, politique monétaire) ou de plus long terme (politique fiscale, démographie, progrès technique).
Cet article décrit le modèle LU-EAGLE, pour LUxembourg within the Euro Area and GLobal Economy, un modèle DSGE développé à la Banque centrale du Luxembourg (BCL) pour analyser la dynamique économique à des horizons relativement courts. Pour les analyses de plus long terme, par exemple concernant la soutenabilité du système des retraites, la BCL dispose d'un autre modèle DSGE, dénommé LOLA (Pierrard et Sneessens, 2009 ; Marchiori et Pierrard, 2012, 2015). LU-EAGLE et LOLA constituent ainsi des outils complémentaires à disposition de la BCL pour la modélisation et la compréhension des développements économiques au Luxembourg.
LU-EAGLE constitue la version luxembourgeoise du modèle EAGLE (Gomes et al., 2012), développé par le Système européen de banques centrales pour étudier les interactions macroéconomiques entre quatre blocs régionaux : un pays de référence au sein de la zone euro, un agrégat représentant le reste de la zone euro et deux régions hors de la zone euro (les Etats-Unis et le reste du monde). Si le pays de référence était l'Allemagne dans l'article original de Gomes et al. (2012), des banques centrales nationales ont construit d'autres versions du modèle, chacune prenant leur pays comme référence. Naturellement, le Luxembourg est le pays de référence dans LU-EAGLE.
Dans le modèle, les quatre blocs échangent des biens et services, ainsi que des actifs financiers. Les deux blocs membres de la zone euro partagent en outre une autorité monétaire commune. Clairement, la prise en compte de ce type de liens internationaux semble particulièrement important pour analyser la dynamique d'une petite économie ouverte comme le Luxembourg.
Au sein de chaque bloc, LU-EAGLE intègre les éléments habituels des modèles DSGE quantitatifs, tels que des coûts d'ajustement (habitudes de consommation, coûts d'investissement) et des frictions nominales (prix et salaires rigides à court terme). La structure de production est relativement plus complexe que dans les modèles académiques, avec plusieurs types d'entreprises échangeant des biens intermédiaires à la fois au sein de leur bloc et d'un bloc à l'autre. La prise en compte de la différence entre la production échangeable et la production non échangeable permet aussi d'améliorer la capacité du modèle à expliquer les effets des chocs internationaux, en capturant notamment certains phénomènes de réallocation intersectorielle. Finalement, LU-EAGLE incorpore un secteur fiscal détaillé, ce qui en fait un outil adapté à l'étude des politiques budgétaires.
Par rapport au modèle original de Gomes et al. (2012), LU-EAGLE incorpore également deux éléments additionnels requis pour reproduire certaines caractéristiques de l'économie luxembourgeoise. Premièrement, le Luxembourg étant une (très) petite économie ouverte, le contenu en importations des composantes de la demande finale y est plus élevé que dans d'autres pays. Pour capturer cette propriété et générer un degré d'ouverture comparable à celui mesuré dans les données, LU-EAGLE modélise explicitement les contenus en importations de la consommation privée, de l'investissement, de la dépense publique et des exportations. Deuxièmement, LU-EAGLE prend en compte les travailleurs frontaliers, qui représentent une part significative de la force de travail au Luxembourg, tout en dépensant la majeure partie de leur revenu hors du pays.
Il convient aussi de mentionner que le secteur financier luxembourgeois n'apparait pas explicitement dans le modèle, mais est implicitement inclus dans le secteur des biens et services échangeables (les services financiers représentent environ 50 % des exportations du Luxembourg et 45 % de ses importations). En général, les modèles DSGE introduisent des banques dans le seul objectif de générer des frictions financières affectant la distribution du crédit; dans ces modèles, les banques n'ont pas d'activité de gestion d'actifs et n'emploient pas de travailleurs. Clairement, un tel cadre ne permettrait pas de capturer la contribution importante du secteur financier à la dynamique économique du Luxembourg. Développer une spécification permettant d'étudier ce type de questions reste un objectif de recherche important.
Après avoir présenté la structure de LU-EAGLE, nous décrivons le processus de calibration du modèle. Chaque fois que possible, les valeurs sont choisies de manière à reproduire certaines régularités empiriques ; le reste des paramètres est calibré en accord avec la littérature sur les modèles DSGE à plusieurs pays. Finalement, afin d'illustrer le fonctionnement de LU-EAGLE et sa capacité à informer les décisions de politique économique, l'article présente une série de simulations décrivant la réponse du modèle à plusieurs chocs standards, survenant au Luxembourg ou à l'étranger. Les résultats suggèrent que le degré d'ouverture de l'économie luxembourgeoise la rend plus sensible aux chocs de politique monétaire et moins sensible aux chocs budgétaires domestiques. Le modèle permet également d'identifier les mécanismes à travers lesquels les fluctuations de la demande externe se propagent à l'économie domestique.
Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.
Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu