Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n° 133 - Characterizing the Luxembourg financial cycle: alternatives to statistical filters

07.11.2019

Auteurs: Rachida Hennani et John Theal 

L'analyse des causes sous-jacentes à la crise financière de 2007-2008 a corroboré les thèses qui attribuent aux variables financières, et notamment à l'évolution du crédit, un rôle important dans la matérialisation des crises financières. Le volume des crédits accordés aux ménages et aux sociétés non financières augmente en période de croissance économique et décroît en phase de repli économique. Cette procyclicité favorise l'augmentation des prix des actifs et entretient une croissance du volume des crédits jusqu'à un certain niveau. Au-delà de ce seuil, une phase de décroissance du volume de crédit s'ouvre moyennant une potentielle crise bancaire, ou pour le moins une période d'instabilité financière. Cette alternance entre les phases d'expansion excessive du crédit et les phases de ralentissement de la dynamique du crédit décrit le cycle de crédit. Les études empiriques sur l'analyse du cycle de crédit ont montré une coïncidence entre certaines crises financières et les pics du cycle de crédit, confirmant ainsi le rôle du cycle du crédit dans l'instabilité financière. Néanmoins, plusieurs études empiriques montrent que l'étude singulière du cycle de crédit demeure insuffisante pour identifier les périodes de vulnérabilités financières susceptibles de conduire à une crise financière. Une identification appropriée de ces moments critiques peut être fournie par l'analyse du cycle financier dont le cycle de crédit est une composante. Diverses études s'accordent sur une description parcimonieuse du cycle financier par une double analyse des cycles de crédit et des prix immobiliers. Dans le cadre de la conduite de la politique macroprudentielle, l'estimation du cycle financier demeure un exercice nécessaire qui permet d'apporter des évidences empiriques à la constitution du jugement d'expert, facteur important dans la prise de décision des autorités macroprudentielles. 

Au cours de la période récente, l'économie luxembourgeoise a été caractérisée par une croissance soutenue des crédits et des prix immobiliers qui ont conduit le Comité du Risque Systémique (CdRS) luxembourgeois à relever le taux de coussin de fonds propres contracycliques à un niveau de 0,25 % applicable dès le 1er janvier 2020. Cette décision fait écho à la persistance des développements enregistrés (i) du niveau du crédit bancaire accordé aux sociétés non financières (avec une croissance annuelle nominale de 8,1 % en 2018 T4), (ii) du niveau d'endettement des ménages (171,3 % du revenu disponible en 2018 T4) et de (iii) la croissance soutenue des prix immobiliers (avec une croissance annuelle nominale de 9,26 % en 2018 T4). Ces diverses évolutions sont susceptibles d'amplifier les vulnérabilités cycliques et par conséquent, de conduire à des périodes d'instabilité financière. 

Dans ce contexte, une évaluation appropriée des variables de crédits et des prix immobiliers par rapport à leur tendance de long terme permettrait d'identifier la position de ces variables dans leurs cycles respectifs et, partant, d'anticiper la matérialisation de vulnérabilités cycliques systémiques. Dans cet objectif, l'extraction des composantes cycliques est menée au moyen de deux méthodologies : les modèles à composantes inobservées permettent d'extraire un cycle en niveau, tandis que la décomposition en ondelettes fournit un cycle de croissance. Ces choix méthodologiques visent à pallier les insuffisances de certaines méthodes statistiques, notamment les filtres statistiques très usités dans l'extraction des cycles. Les modèles à composantes inobservées permettent une décomposition cycle-tendance à partir des données empiriques sans hypothèse préalable sur la durée des cycles. La décomposition par la méthode des ondelettes permet d'identifier les fréquences les plus significatives dans les fluctuations d'une série temporelle et offre, en outre, la possibilité d'analyser les co-mouvements entre deux séries temporelles dans un espace fréquentio-temporel. 

Les résultats de cette étude, menée sur la période 1980 T1- 2019 T1, indiquent que les variables de crédits sont caractérisées par des cycles d'une durée moyenne de 8,91 ans pour le crédit bancaire au secteur privé non financier, 8,71 ans pour les crédits bancaires aux ménages et 9,03 ans pour les crédits bancaires aux sociétés non financières, selon le modèle à composantes inobservées. Les prix de l'immobilier résidentiel au Luxembourg se caractérisent par une composante cyclique d'une durée de 13,8 ans. Au premier trimestre 2019, le cycle du crédit au secteur privé non financier atteint 1,6 %, entretenu principalement par le cycle de crédit aux sociétés non financières qui atteint 5,5 %. Le niveau du crédit aux ménages est légèrement au-dessus de sa tendance de long terme (0,28 % en 2019 T1) tandis que le cycle des prix immobiliers atteignait 4,5 % en 2018 T4. Les mesures de corrélation et de synchronicité montrent que les composantes cycliques des crédits accordés aux ménages, aux sociétés non financières et au secteur privé non financier au Luxembourg sont fortement corrélées et synchrones. Le cycle de crédit des ménages est souvent synchrone avec le cycle des prix immobiliers. La décomposition par la méthode des ondelettes complète les résultats susmentionnés. À partir des mesures de cohérences, nous constatons une corrélation plus faible entre le cycle des prix de l'immobilier et l'ensemble des cycles de crédit, alors que ces derniers sont très corrélés entre eux sur la période considérée. 

Au niveau de la politique macroprudentielle, ces résultats sont très utiles. Premièrement, ils permettent de quantifier la durée du cycle financier et fournissent ainsi des informations pertinentes sur la durée du cycle financier. Deuxièmement, la diversité des approches permet de réduire les erreurs d'appréciation fondées exclusivement sur les méthodes statistiques. Troisièmement, ces résultats corroborent des études antérieures sur le rôle limité du cycle du crédit aux ménages luxembourgeois sur le cycle des prix immobiliers.  

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.

 

Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu