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Publication du cahier d'études 151: The flow-performance relationship of global investment funds
Auteurs: Julien Ciccone, Luca Marchiori, Romuald Morhs
Au cours des dernières décennies, l'industrie des fonds d'investissement a largement contribué au processus d'intégration financière mondial. La globalisation financière a certes permis d'améliorer l'efficience dans l'allocation du capital, mais elle a également contribué à une transmission accrue des chocs adverses au niveau international. Dans cette perspective, l'analyse du comportement des investisseurs et des déterminants des flux dans les fonds d'investissement revêt une importance primordiale.
La littérature économique a exploré cette problématique en se concentrant sur la sensibilité des flux nets à la performance passée des fonds d'investissement, à savoir la relation flux-performance. Les études existantes ont mis l'accent sur la non-linéarité de cette relation, c'est-à-dire que les investisseurs ne réagissent pas avec la même intensité aux bonnes et mauvaises performances des fonds, et sur les facteurs qui influencent cette relation, comme par exemple les coûts de participation et de recherche d'information (Sirri and Tufano, 1998, Huang et al., 2007), le degré de sophistication des investisseurs (Del Guercio and Tkac, 2002; Ferreira et al., 2012) ou encore la liquidité du portefeuille d'actifs (Chen et al., 2010; Goldstein et al., 2017). Cependant, les connaissances demeurent encore limitées quant à l'influence des facteurs internationaux sur le comportement d'investissement dans les organismes de placement collectif.
Ce papier contribue à cette littérature en mettant l'accent sur la manière dont la globalisation influence la relation flux-performance dans les fonds d'investissement. Notre analyse empirique est effectuée à partir d'une base de données sur les fonds obligataires domiciliés au Luxembourg. Les fonds obligataires permettent d'étudier les effets de la globalisation dans un environnement plus adapté, étant donné que ces derniers affichent un biais domestique plus prononcé que les fonds actions. En outre, en tant que première place financière mondiale pour la distribution transfrontalière des fonds d'investissement, le Luxembourg constitue un laboratoire approprié pour étudier les implications d'un marché global. Afin d'appréhender les effets de la globalisation, nous établissons une distinction entre les fonds domestiques et les fonds globaux et les données sur les fonds domiciliés au Luxembourg nous permettent de faire ressortir les caractéristiques de ces fonds.
Les fonds domestiques, qui sont principalement gérés par des acteurs locaux, distribuent généralement leurs parts en euros et dans la zone euro et proposent des produits qui sont davantage adaptés à une clientèle locale en termes d'allocation de portefeuille. Les fonds globaux, qui sont commercialisés par les grands gestionnaires d'actifs mondiaux, distribuent quant à eux leurs parts dans différentes devises et différentes régions du monde et s'adressent à des investisseurs internationaux à la recherche de produits sophistiqués.
Il est intéressant de mentionner que la littérature sur le biais domestique (home bias) adresse la problématique de la diversification internationale des fonds d'investissement du point de vue de l'allocation des actifs, que ce soit en termes de ventilation géographique (Hau and Rey, 2008) ou de composition en devises du portefeuille (Maggiori et al., 2019). Dans notre étude, la dimension globale des fonds d'investissement est appréhendée non seulement au niveau du portefeuille de titres, mais également à travers la prise en compte de la diversification dans la distribution géographique et dans la devise d'émission des parts.
Des régressions de panel sont estimées avec des données mensuelles de janvier 2009 à juin 2019. Le critère de diversification en devises dans l'émission de parts est utilisé dans un premier temps pour différencier les fonds domestiques et les fonds globaux. Notre analyse empirique indique que les flux nets dans les fonds globaux, qui distribuent leurs parts dans plusieurs devises, sont davantage sensibles à la performance passée que les flux nets dans les fonds domestiques, qui distribuent principalement leurs parts dans une seule devise. Une augmentation d'un point de pourcentage dans la performance passée (rendement moyen sur les douze derniers mois) est associée à une augmentation des flux nets rapportés à l'actif net total de 0.37% pour les fonds domestiques, contre 0.60% pour les fonds globaux. L'estimation d'une régression linéaire par morceaux (piecewise linear regression), fondée sur le rang de performance des fonds, permet d'enrichir cette analyse. Alors que les flux dans les fonds domestiques et les fonds globaux répondent de manière relativement similaire aux performances moyennes, la sensibilité des flux aux performances extrêmes est seulement significative pour les fonds globaux. En outre, pour ces derniers, la sensibilité des flux nets des fonds affichant de bonnes et de mauvaises performances est nettement supérieure à celle des fonds affichant des performances moyennes. Ces conclusions sont robustes lorsque des critères alternatifs basés, notamment, sur la diversification géographique dans la distribution de parts et la diversification en pays et en devises dans l'allocation de portefeuille, sont utilisés pour différencier les fonds domestiques et les fonds globaux.
Dans l'ensemble, ces résultats suggèrent que les investisseurs dans les fonds globaux se caractérisent par un comportement plus prononcé de recherche de rendement (return chasing) que les investisseurs dans les fonds domestiques. Eu égard à nos résultats, les investisseurs dans les fonds globaux sont non seulement plus sensibles aux performances de marché, mais ils réagissent également de manière plus agressive aux performances relatives des gestionnaires de fonds, traduisant ainsi la plus grande concurrence qui règne parmi ces fonds pour attirer des investisseurs globaux en quête de rendement. A contrario, les investisseurs dans les fonds domestiques se caractérisent par une plus grande inertie dans leur comportement d'investissement et par une plus faible propension à sanctionner les perdants et à récompenser les gagnants. Ces résultats peuvent s'expliquer par le fait que les fonds domestiques ciblent principalement des investisseurs non-sophistiqués, avec une aversion au risque plus importante, alors que les fonds globaux attirent plutôt des investisseurs sophistiqués affichant un profil avec un niveau de risque/rendement plus élevé. L'utilisation du critère de diversification en devises dans l'allocation de portefeuille pour différencier les fonds domestiques et les fonds globaux, ainsi que l'estimation de régressions séparées pour les fonds investissant dans des actifs plus sûrs et les fonds investissant dans des actifs plus risqués semblent corroborer cette interprétation. Les résultats obtenus à partir de ces analyses mettent en effet en exergue le degré de sophistication des investisseurs dans les fonds globaux, qui tendent non seulement à investir dans des produits plus risqués et plus illiquides, mais qui sont également davantage prêts à supporter un risque de change dans leur portefeuille obligataire.
Ce papier contribue à la compréhension du comportement des investisseurs dans les organismes de placement collectif, et, en tant que tel, apporte des éléments importants de réflexion pour les autorités de supervision. Les résultats obtenus indiquent que la sensibilité des flux à la performance est plus importante dans les fonds globaux, ce qui implique que ces derniers peuvent être plus vulnérables à des retraits massifs de la part des investisseurs, en particulier dans un contexte de choc adverse sur les marchés financiers. En outre, la forme de la relation flux-performance pour les fonds globaux crée une incitation pour les gérants à adapter leur stratégie de manière à augmenter leur attractivité. Dans un contexte de taux d'intérêt faibles, la concurrence exacerbée entre fonds globaux pour attirer les investisseurs à la recherche de rendement porte ainsi des implications importantes pour l'analyse de l'impact des décisions de politique monétaire sur le comportement de prise de risque des intermédiaires financiers.
Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.
Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu