Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication du Cahier d’études n° 187 : (Un-)Sustainable Investment

11.07.2024

Auteur: Pablo GARCIA SANCHEZ 

 

L'investissement durable, qui oriente les capitaux vers des entreprises vertes tout en évitant les entreprises qui polluent, a rapidement augmenté sa part de marché. Au niveau global, Bloomberg Intelligence rapporte que les actifs qui respectent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ont atteint 30 000 milliards de dollars en 2022 et devraient dépasser 40 000 milliards de dollars d'ici 2030. Au niveau de l’Union européenne, la Commission estime que 620 milliards d’euros par an en investissements supplémentaires seront nécessaires pour attendre les objectifs environnementaux en 2030. Selon les estimations de la Banque centrale européenne, fin 2023, la dette durable représentait déjà 7 % des titres de créance émis dans la zone euro. 

En principe, la logique de l'investissement durable est simple : en réduisant les investissements dans les entreprises polluantes, elle augmente leur coût de capital, ce qui les incite à devenir plus écologiques. Par conséquent, le succès de l'investissement durable se mesure non seulement par l’augmentation du coût du capital pour les entreprises polluantes, mais aussi par la part de ces entreprises qui deviennent plus vertes en conséquence. 

Un nombre croissant d’analyses empiriques trouvent que la première condition de succès est remplie : les investisseurs durables augmentent effectivement le coût du capital pour les entreprises polluantes. Cependant, des études empiriques récentes trouvent que la deuxième condition n’est pas atteinte. Plus précisément, il semble que quand leur coût de capital augmente, les entreprises les plus polluantes deviennent encore plus polluantes. 

Dans ce contexte, un modèle simple est présenté pour étudier comment les entreprises polluantes réagissent à l’augmentation de leur coût du capital. Plus précisément, il est étudié sous quelles conditions une entreprise polluante décide de devenir durable. Dans le modèle, l’entreprise choisit à chaque période son niveau d'investissement dans une nouvelle forme de capital écologique, ainsi que le moment auquel elle abandonnera complètement ses méthodes polluantes pour des alternatives durables. Ces décisions visent à minimiser un indice de performance qui capture à la fois le coût de l'accumulation de capital écologique et les coûts associés à l'abandon définitif des méthodes polluantes. Deux forces concurrentes entrent en jeu. 

D'une part, l’augmentation du coût du capital réduit le niveau du stock de capital écologique auquel il devient optimal d’abandonner les pratiques polluantes. Par conséquent, la hausse du coût du capital incite les entreprises polluantes à passer plus tôt à une production écologiquement durable. C’est l’idée qui motive de nombreux investisseurs durables. 

D'autre part, la hausse du coût du capital augmente également le coût de l'accumulation de capital écologique. Cela incite l'entreprise à passer plus tard à la production selon des pratiques écologiques. Plus précisément, la hausse du coût du capital réduit le rythme d'accumulation de capital vert. Cette observation est conforme aux principes de base de la finance d'entreprise. Accumuler du capital vert signifie un investissement initial substantiel dont les retours financiers sont reportés dans le futur. Lorsque le coût du capital augmente, les bénéfices à court terme résultant des méthodes polluantes deviennent plus attrayants, décourageant ainsi l'investissement dans des alternatives écologiques. Ce deuxième effet est souvent négligé par les investisseurs durables. 

Par conséquent, le modèle étudié prédit que l'augmentation du coût du capital peut avoir des conséquences différentes selon la situation de l’entreprise.   Plus précisément, selon les caractéristiques des entreprises polluantes le moment optimal pour basculer vers la nouvelle technologie verte peut se rapprocher ou s’éloigner dans le futur. Par exemple, le modèle suggère que les entreprises opérant dans des secteurs intensifs en capital, où des investissements verts substantiels sont nécessaires pour remplacer les machines, équipements et infrastructures existantes, sont plus susceptibles de réagir à une augmentation de leur coût du capital en retardant le moment de leur transition vers la technologie verte. Les entreprises qui donnent moins de poids aux bénéfices futurs présentent une réponse similaire. En revanche, les entreprises qui ont déjà accumulé un stock de capital écologique sont susceptibles d’accélérer leur transition lorsqu'elles sont confrontées à une hausse de leur coût de capital. 

En somme, en accord avec les études empiriques récentes, mon modèle stylisé suggère que l'augmentation des coûts de financement pour les entreprises polluantes pourrait être contre-productive, les amenant à prolonger leur dépendance à des méthodes bien établies mais polluantes. Cela soulève la question cruciale : quel serait le coût optimal du capital pour encourager les entreprises polluantes à passer à des méthodes de production durables ? Aborder cette question constitue une piste intéressante pour de futures recherches, nécessitant probablement une approche en équilibre général.  

Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème. 

Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu