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Publication du Cahier d’études n° 192: From Brown to Green: Climate Transition and Macroprudential Policy Coordination
Auteur: Federico LUBELLO
Un aspect fondamental de la stratégie d'atténuation de la crise climatique adoptée dans le pacte vert pour l’Europe « European Green Deal » de l'Union européenne implique la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux enregistrés en 1990, puis atteindre la neutralité carbone « net zéro » d'ici à 2050. Le respect de ces standards serait compatible avec la limitation du réchauffement climatique à un niveau nettement inférieur à 2 degrés Celsius par rapport au niveau préindustriel d'ici à la fin de ce siècle et prévenir ainsi la matérialisation des effets potentiellement irréversibles sur les écosystèmes, la santé humaine et les économies.
Pour initier un transfert massif d'investissements de sources d’énergies fossiles vers des énergies renouvelables, l'engagement pris dans le cadre du « Green Deal » nécessite une mobilisation importante de capitaux. La Commission européenne (CE) estime qu'en combinant les sources de financement publiques et privées, une mobilisation de capitaux d'au moins 1.000 milliards d'euros pour les investissements durables est nécessaire au cours de la prochaine décennie. Dans ce contexte, il est vraisemblable que les changements substantiels des politiques, des technologies et des dynamiques du marché, au fur et à mesure que les économies convergent vers la neutralité carbone, amplifieraient l’incertitude quant à l’importance des pertes futures. Ainsi, ces facteurs représentent une source importante de risque de transition qui aurait un impact significatif sur les ménages, les entreprises et le secteur financier. Il y a lieu de rappeler que les expositions du secteur bancaire de la zone euro aux plus grandes industries ayant une empreinte carbone conséquente s’élevaient en 2023 à près de 70 % du portefeuille de prêts aux entreprises.
Bien qu’il existe un large consensus sur l'importance des risques liés au climat pour la stabilité financière, les positions des décideurs publics quant à l’introduction du risque climatique dans la régulation prudentielle sont plurielles. En 2023, l'Autorité bancaire européenne (ABE) a exclu l'introduction à court terme d'un facteur de soutien vert ou d'un facteur de pénalisation brun dans la pondération des risques. Ce refus a été justifié par les défis posés en termes de conception, de calibrage et d'interactions complexes avec les exigences actuelles en matière du pilier 1 des fonds propres. Néanmoins, pour un soutien de la transition verte, tout en veillant à ce que le secteur bancaire reste résilient, l'ABE a présenté des recommandations pour des améliorations ciblées afin d'accélérer l'intégration des risques environnementaux et sociaux dans le pilier 1 des exigences en matière de fonds propres. De même, la Banque centrale européenne (BCE) et le Comité européen du risque systémique (CERS) ont publié en 2023 une stratégie commune globale pour l'UE pour l’adoption d’une régulation macro-micro prudentielle spécifique au risque climatique compte tenu du caractère systémique du risque véhiculé par le changement climatique.
Par ailleurs, le Conseil des gouverneurs de la BCE, dans un communiqué de mars 2024 sur l'examen du cadre opérationnel de la politique monétaire, a déclaré que « la conception d’un nouveau cadre opérationnel pour le pilotage des taux d'intérêt à très court terme visera à tenir compte des considérations liées au changement climatique ».
Bien qu'il soit largement reconnu que les risques financiers liés au changement climatique posent des problèmes micro-macroprudentiels, la recherche académique n'en est qu'à son début. La présente étude vise à contribuer au bourgeonnement de cette nouvelle littérature via la conception d’un modèle d'équilibre général dynamique stochastique (DSGE) pour la zone euro qui incorpore des considérations spécifiques au risque climatique. Le modèle comprend des entreprises polluantes (« brunes ») et des entreprises non polluantes (« vertes »), ainsi qu'une composante (module) climatique avec des émissions endogènes modélisées comme une externalité de sous-produit.
Dans le modèle, les chocs exogènes se propagent dans l'ensemble de l'économie et affectent les variables macroéconomiques par le biais de l'impact des écarts de taux d'intérêt. Nous évaluons le cycle économique et les implications du risque de transition découlant des modifications de la taxe carbone, ainsi que des implications des outils micro-macroprudentiels ayant trait au risque climatique. Les résultats obtenus suggèrent que la progression de la taxe carbone sur les entreprises brunes se traduirait par un ralentissement de l'activité économique et par une baisse de la volatilité, en déplaçant les prêts du secteur brun vers le secteur vert et en réduisant les externalités négatives des émissions de carbone (pollution). En outre, elle entrainerait des coûts en termes de bien-être. Cependant, l’intégration par les autorités de supervision des objectifs climatiques dans la conduite de leur politique prudentielle permettrait de réduire ces coûts. A cet égard, la politique optimale, selon nos résultats, consiste en la coordination des politiques micro et macroprudentielles dont l’objectif est de minimiser l'arbitrage entre la volatilité macroéconomique et le bien-être.
Le contenu de cette étude ne doit pas être perçu comme étant représentatif des opinions de la Banque centrale du Luxembourg ou de l’Eurosystème. Les opinions exprimées reflètent celles des auteurs et non pas nécessairement la position de la Banque centrale, de ses dirigeants ou de l’Eurosystème.
Ce cahier d’études est disponible sur le site internet de la BCL : www.bcl.lu