Prince Henri Auditoire 02 BW

Publication de la Revue de Stabilité financière 2018

04.06.2018

La Banque centrale du Luxembourg (BCL) a publié aujourd’hui l’édition 2018 de sa Revue de stabilité financière. Cette publication contribue à promouvoir la stabilité de la place financière luxembourgeoise et constitue un document de référence en matière de veille prudentielle et d’analyse des risques spécifiques aux principales composantes du système financier national.

Les paragraphes suivants traitent des principaux défis nationaux et internationaux pour la stabilité financière au Luxembourg.

Le 11 décembre 2017, le gouvernement a déposé à la Chambre des députés un projet de loi relatif à « des mesures macroprudentielles sur les crédits immobiliers résidentiels ». Le texte prévoit d’introduire dans la législation la possibilité de définir une limite maximale aux ratios prêt-valeur, prêt-revenu, dette-revenu, service de la dette-revenu et à l’échéance initiale de l’emprunt. Ces limites, qui s’appliqueront lors de l’octroi d’un prêt, pourront être définies par l’autorité désignée, sur Recommandation du Comité du risque systémique (CdRS) et après concertation avec la Banque centrale du Luxembourg (BCL) et éventuellement avec le Commissariat aux assurances (CAA), lorsque les acteurs du secteur des assurances seront concernés.

Si le projet de loi répond à l’initiative du Comité européen du risque systémique (CERS), notamment à la Recommandation CERS/2016/14 « visant à combler les lacunes de données immobilières » et à l’alerte envoyée au gouvernement en 2016, celui-ci fait également écho aux vulnérabilités identifiées par le CdRS et/ou par les institutions membres dudit Comité. Le projet de loi insiste, en effet, sur le rôle de premier plan de la BCL en matière d’analyses et d’études permettant d’identifier au plus tôt les risques systémiques. Afin de consolider davantage son cadre analytique, l’accès aux données agrégées disponibles auprès d’administrations étatiques et d’établissements publics devrait ainsi être facilité par une modification de la loi du 1er avril 2015 portant création du CdRS. Le projet de loi, actuellement en discussion à la commission des Finances et du Budget, devrait donc offrir aux autorités nationales de nouveaux instruments macroprudentiels afin de contenir, sinon atténuer, les vulnérabilités associées au marché de l’immobilier résidentiel et à la soutenabilité de la dette des ménages.

Par ailleurs, le Luxembourg a contribué en 2017 aux travaux du Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board, FSB) dans le cadre du Shadow Banking Monitoring Report publié le 5 mars 2018. Le rapport, qui couvre les activités financières non bancaires de 29 juridictions représentant 80 % du PIB mondial, permet d’évaluer l’étendue des « activités d’intermédiation de crédit impliquant des entités et des activités pratiquées en dehors du système bancaire ». Cette initiative traduit la volonté des régulateurs d’accroître la surveillance des risques systémiques associés aux activités non bancaires conduites par les « autres intermédiaires financiers ».

Pour le Luxembourg, la BCL a publié en avril 2017, pour le compte du CdRS, un rapport sur les activités bancaires parallèles menées par les sociétés captives financières. En accord avec la « définition étroite du secteur bancaire parallèle[1] » proposée par le FSB, le rapport révèle que, sur un total d’actifs de près de 7 000 milliards d’euros, seuls 53 milliards entrent dans le périmètre du « secteur bancaire parallèle ». Les risques pour la stabilité financière apparaissent donc contenus, considérant que la grande majorité des activités de ces sociétés ne peut être qualifiée d’activités d’intermédiation bancaire parallèle, dans la mesure où celles-ci sont principalement dédiées à la gestion de la liquidité intragroupe pour le compte d’entreprises liées.

Les enjeux de stabilité financière au Luxembourg associés aux autres intermédiaires financiers relèvent davantage des interconnexions entre les fonds d’investissement et les établissements de crédit, notamment les banques dépositaires. Leur passif est constitué pour moitié de dépôts d’organismes de placement collectifs et elles détiennent au hors bilan près de 3700 milliards d’euros de titres pour le compte de leurs clients. Les banques dépositaires pourraient donc être fragilisées dans la perspective de développements défavorables sur les marchés financiers conduisant à des demandes de rachats massifs, des ventes forcées et/ou des retraits de dépôts.

Afin de garantir la résilience des banques dépositaires, la BCL, en coopération avec la CSSF, a proposé une méthodologie enrichie d’identification des autres établissements d’importance systémique à travers l’ajout d’un nouveau critère constitué de deux variables permettant d’appréhender l’étendue de ces interconnexions. La méthodologie, adoptée par le CdRS pour l’exercice 2018 (CRS/2017/005), a permis d’identifier deux établissements de crédit supplémentaires, ce qui devrait permettre d’accroître les capacités de résilience du système financier luxembourgeois. Il est à noter que le CERS a publié en décembre 2017 une Opinion relative aux coussins structurels de capital (coussin pour le risque systémique et pour les établissements d’importance systémique) en réponse à la consultation publique initiée par la Commission européenne en 2016 concernant la revue du cadre macroprudentiel dans l’Union européenne. Par conséquent, le montant des capitaux réglementaires et leurs modalités d’application pourraient être modifiés à l’avenir.

Les questions de stabilité financière associées aux activités financières non bancaires ont également été relayées par le CERS en février 2018 à travers la Recommandation CERS/2017/6, qui a formulé plusieurs propositions afin de développer un cadre légal unifié à l’échelle de l’Union, offrant des outils additionnels en matière de gestion de la liquidité des fonds. En particulier, le CERS recommande à la Commission européenne de préciser le rôle des autorités nationales compétentes et de l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority, ESMA) concernant la suspension des rachats de parts de fonds d’investissement lorsque les risques pour la stabilité financière ont un caractère potentiellement transfrontalier. Aussi, le CERS recommande un durcissement des limites associées aux décalages de liquidité dans le secteur des fonds d’investissement alternatif, une amélioration de la qualité des déclarations règlementaires en matière de levier et de liquidité et enfin la publication de lignes directrices par l’ESMA pour la mise en place de tests de résistance de la liquidité.

La liquidité des intermédiaires financiers est au cœur des enjeux de stabilité financière en raison de l’incertitude persistante de l’horizon de sortie de l’environnement de taux bas. Pour la zone euro, l’Eurosystème a amorcé au mois de janvier 2018 une nouvelle étape dans la réduction de son programme d’assouplissement quantitatif bien que l’inflation soit en deçà de l’objectif fixé en dépit d’un redémarrage vigoureux de l’économie européenne en 2017. Ainsi, bien que le Conseil des gouverneurs ait fait le choix de réduire le rythme mensuel des achats nets d’actifs de 60 milliards à 30 milliards, les principaux taux resteront à leurs niveaux actuels pendant une période prolongée, et bien au-delà de l’horizon fixé pour les achats nets d’actifs. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a poursuivi sa stratégie de normalisation de sa politique monétaire en combinant une diminution programmée de son bilan à une augmentation progressive des taux d’intérêt.

Au niveau mondial, les conditions de financement, toujours très favorables, devraient ainsi continuer de soutenir la reprise économique. Pour le secteur bancaire, en repli depuis la crise, celle-ci devrait constituer une opportunité. L’environnement de faibles taux d’intérêt fait en effet pression sur la profitabilité des établissements de crédit, notamment pour ceux qui dépendent le plus des revenus d’intérêt en tant que source principale de profit, comme les banques de détail. Aussi, la taille limitée de leurs portefeuilles de titres les rend moins sensibles aux mouvements des marchés financiers, pour qui la sortie de l’environnement de taux bas peut être synonyme de pertes à court terme.

En effet, ces structures sont exposées à des retournements soudains de l’aversion au risque des investisseurs qui sont devenus très sensibles au risque d’inflation et aux décisions de politique monétaire dans un contexte où les tentations protectionnistes sont exacerbées. Sur les marchés obligataires, bien que les taux d’intérêt à long terme incorporent graduellement des anticipations d’inflation plus prononcées, les rendements et leur dispersion restent comprimés. Les instruments de dette ont confirmé en 2017 leur attractivité tant pour les émetteurs que pour les investisseurs en quête de rendements dans un environnement de taux bas. Les marchés des actions ont également bénéficié d’une volatilité particulièrement comprimée et ont continué leur ascension malgré des signes de surévaluation, notamment aux États-Unis. La baisse des marchés observée au mois de février 2018, pourtant significative en termes d’accroissement de la volatilité, n’a pas permis de résorber certains déséquilibres.

Ainsi, la consolidation de l’activité économique et la sortie de l’environnement de taux bas bénéficieront de la bonne articulation d’un policy mix aux dimensions internationales, européennes et nationales. En particulier, la politique macroprudentielle, à travers la multiplication des instruments dont elle peut disposer, permet d’agir avec précision sur les vulnérabilités identifiées sans entraver la reprise économique.

La Revue de stabilité financière 2018 analyse également les développements récents dans le secteur financier luxembourgeois et ses perspectives. Si ces dernières apparaissent plus favorables compte tenu de l’accélération de la croissance en Europe, cette phase d’expansion invite les autorités nationales à rester vigilantes quant à la constitution de risques systémiques cycliques.

L’environnement macroéconomique traduit le dynamisme retrouvé de l’économie mondiale et européenne. Au Luxembourg, les perspectives macroéconomiques restent favorables pour 2018. Les prix de l’immobilier résidentiel, portés en partie par le dynamisme de l’économie domestique, devraient donc rester à un niveau élevé compte tenu de l’existence de déséquilibres structurels sous-jacents non résolus. La demande de biens immobiliers, alimentée par un solde migratoire positif et des conditions d’emprunt favorables, fait face à une offre dont la faible élasticité-prix ne permet pas un ajustement convenable. Face à la croissance des prix de l’immobilier, l’augmentation du revenu disponible n’a pas conduit à la consolidation du bilan des ménages qui aurait permis de dissiper les vulnérabilités potentielles identifiées par la BCL concernant la soutenabilité de leur dette.

Sur les marchés financiers, l’année 2017, qui s’était caractérisée par de bonnes performances, a finalement été ponctuée par un accroissement soudain de la volatilité. L’année 2018 pourrait constituer une année charnière pour les investisseurs qui, à mesure que les politiques monétaires se normalisent, sont incités à modifier la structure de leurs portefeuilles. Pour le moment, les mesures de l’aversion au risque proposées par la BCL révèlent l’appétit prononcé des investisseurs pour le risque et le caractère très ponctuel de l’accroissement de la volatilité au début de l’année 2018.

L’analyse du secteur financier luxembourgeois permet d’observer sa recomposition depuis la crise. D’une part, la forte dynamique dans le secteur des fonds d’investissement, certes porteuse de croissance pour l’économie domestique, invite à étudier davantage son implication systémique. De ce point de vue, la diminution de l’exposition des fonds obligataires au risque de taux traduit un comportement prudent dans la perspective de la normalisation des politiques monétaires. D’autre part, les établissements de crédit font preuve de capacités de résilience certaines au regard des ratios réglementaires (solvabilité et liquidité), des tests de résistance, des probabilités théoriques de défaut (indice z-score) et de l’indicateur de fragilité bancaire systémique. Néanmoins, la contraction de l’actif total et du revenu net bancaire confirment leur adaptation progressive à un contexte de profitabilité peu favorable et à des exigences réglementaires accrues.

La Revue propose enfin, en annexe, deux analyses spécifiques. La première s’intéresse aux risques pour la stabilité financière liés à la croissance du secteur des « intermédiaires financiers parallèles » dans un contexte où la régulation bancaire peut constituer une incitation au transfert de risque de crédit à des segments moins régulés du système financier. L’optimalité de la politique macroprudentielle en matière de stabilisation macroéconomique est évaluée à travers un modèle d’équilibre général stochastique et dynamique (DSGE) néokeynésien, dans lequel le secteur bancaire traditionnel peut avoir recours à la titrisation de créances afin de réduire sa charge de capitaux réglementaires. Cette étude montre que, quel que soit le transfert de risque du système bancaire traditionnel au « système parallèle » permis par la titrisation, celui-ci retourne au premier secteur à travers le marché interbancaire et dans le secteur productif à travers l’attribution de prêts aux entreprises. Par ailleurs, les résultats indiquent que la complémentarité des instruments macroprudentiels, tels que le ratio de levier ou et le ratio de titrisation, permet aux autorités macroprudentielles d’atteindre avec succès la stabilisation macroéconomique, mesurée par la volatilité du produit intérieur brut, à la suite d’un choc.

La deuxième étude montre comment une mesure du risque systémique, construite à partir de chaque ligne du bilan des intermédiaires financiers, peut potentiellement identifier différents aspects du niveau agrégé du risque systémique. De la même manière qu’il est possible d’attribuer un prix de marché à un actif selon la règle de comptabilisation au prix de marché (Mark-to-Market), il est possible d’associer à chaque ligne bilantaire une contribution au risque agrégé « Mark-to-Systemic-Risk » en considérant celle-ci pour chaque institution financière simultanément. L’approche « Mark-to-Systemic-Risk » apporte alors une analyse de la contribution de chaque entité financière au risque global en fonction de l’importance de chaque poste bilantaire. Afin de montrer comment le concept de « Mark-to-Systemic-Risk » peut être mis en pratique, l’étude caractérise le risque systémique et les risques de transmission pour 33 banques luxembourgeoises, leurs groupes bancaires respectifs et 232 fonds d’investissement sur la période 2003-2016. Une approche dite « dynamic grouped t-copula », pertinente pour modéliser des distributions dynamiques de grande dimension, est proposée afin d’estimer plusieurs mesures prospectives construites sur la base des données de bilan de chaque institution financière dans le système. L’étude révèle notamment que les filiales luxembourgeoises sont plus sensibles aux évènements défavorables véhiculés par les fonds d’investissement qu’à ceux transmis par les groupes bancaires européens et que les fonds d’investissement ont été plus sensibles aux événements défavorables issus des groupes bancaires européens qu’en provenance des filiales luxembourgeoises.

La Revue de Stabilité financière est disponible sur simple demande, dans la limite des stocks disponibles, auprès de la BCL (info@bcl.lu) et peut également être téléchargée sur le site internet de la BCL www.bcl.lu.

[1] La définition étroite du secteur bancaire parallèle proposée par le FSB inclut les Autres institutions financières qui (i) prennent part à la chaine d’intermédiation du crédit, (ii) ne sont pas soumises à la régulation bancaire ou à une supervision financière comparable et (iii) dont les activités impliquent des risques de type bancaire tels que la transformation de maturité et/ou de liquidité et l’utilisation de leviers d’investissement.