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La Banque centrale du Luxembourg dans les sondages
Discours de Monsieur Yves Mersch, Président de la Banque centrale du Luxembourg, Executive Club, Hôtel Le Royal
Luxembourg, le 11 février 2003
Seule la parole prononcée fait foi
Altesse Royale,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Introduction : un sujet inhabituel pour une banque centrale
Le thème de mon discours de ce soir peut vous sembler inhabituel. En effet, pourquoi une institution publique comme la Banque centrale commande-t-elle des sondages ? Notre jeune Banque est déjà bien connue et respectée dans le périmètre dans lequel elle opère. Elle tient son rang parmi les autres banques centrales nationales. Les acteurs de la place financière reconnaissent son professionnalisme. Et le public est a priori rarement concerné directement par les activités quotidiennes de la Banque. Je vais donc vous présenter les raisons qui nous poussent à nous intéresser au public au sens large. Les résultats, vous le verrez, ne sont pour l'instant pas à la hauteur de nos ambitions, ni pour la Banque centrale du Luxembourg, ni pour l'Eurosystème. Je vous exposerai notre analyse de la situation, ainsi que les mesures que nous envisageons de prendre. Enfin, je profiterai de la tribune qui m'est offerte pour commenter la dernière actualisation du programme de stabilité et de croissance du Luxembourg.
La nécessité des sondages pour la BCL
Mais commençons par les raisons qui poussent la Banque centrale à s'intéresser à sa notoriété en général et à la compréhension de ses missions en particulier. Il en existe trois principales. Premièrement, comme pour toute entreprise moderne, qu'elle soit privée ou publique, la communication est une dimension essentielle pour une banque centrale.
Deuxièmement, la politique monétaire est une partie de la politique économique détachée du gouvernement. Elle doit être menée avec une perspective à long terme. Ceci justifie qu'elle soit conduite par une banque centrale indépendante. Or cette indépendance a évidemment une contrepartie. La BCL doit rendre des comptes au public en général, c'est-à-dire envers le Parlement, les marchés financiers et le grand public.
Troisièmement, la communication est particulièrement importante dans le schéma décentralisé de l'Eurosystème. Comme la Belgique le faisait du temps de l'Union économique belgo-luxembourgeoise - lorsque le Gouverneur venait régulièrement à Luxembourg pour nous confier : " Allez ! Laisse-moi te dire ! " - les banques centrales nationales se doivent de faire le lien entre les décisions de politique monétaire prises à Francfort et les citoyens.
De manière générale, il s'agit de s'assurer que le public comprenne nos missions et nos objectifs. Est-ce qu'il est d'accord avec la politique monétaire menée en Europe ? De plus, cela renforce l'efficacité des politiques monétaires.
Les citoyens du Grand-Duché et l'Eurosystème en général
Au niveau européen, la BCE commande régulièrement des sondages. Ainsi, un sondage a été effectué (par l'INRA) en septembre et octobre 2002 sur un échantillon de 1000 personnes à Luxembourg (et de même dans les autres pays de la zone euro). Au niveau européen, la constatation principale est que le grand public ne se sent pas bien informé au sujet de la l'Eurosystème. Cette perception s'est même détériorée depuis 2000 et ce également au Luxembourg. Une illustration en est donnée par le résultat suivant. A la question " pour chacune des institutions suivantes, pouvez-vous me dire si l'une de ses principales responsabilités est de maintenir la stabilité des prix ? ", les sondés répondent largement par l'affirmative : La BCE (80%) et la BCL (74%). Cependant, plus des deux tiers répondent de même : Le gouvernement, le Conseil européen des ministres des finances ou encore la Commission européenne. Il semblerait qu'il demeure encore une légère confusion dans les esprits concernant les attributions respectives des gouvernements et de la BCE, (respectivement de la BCL). Ce résultat se confirme quand on voit que 62% des sondés luxembourgeois pensent que la BCE prend ses instructions de la Commission ou des gouvernements nationaux. Au Grand-Duché, 57% des sondés estiment être mal informés concernant la BCE. Les objectifs de la BCE ne sont pas clairement compris. Certes, plus des deux tiers pensent que la stabilité des prix en fait partie, mais aussi :
- 72% pensent que la gestion des taux de change en fait partie, alors que cette mission est partagée avec le Conseil et ne peut être effectuée au détriment de la stabilité des prix ;
- 66% pensent que la création d'une croissance économique élevée en fait partie, alors que la croissance n'est qu'un objectif indirect (article 105 du Traité) ;
- 55% pensent que le prêt d'argent à l'Etat en fait partie.
A la vue de ces résultats relativement décevants, une question majeure se pose : La communication de l'Eurosystème serait-elle inadaptée en termes de contenu (traite-t-on les bons sujets ?), de langage (est-ce compréhensible ou trop technocratique ?) et de vecteurs de communication utilisés.
La réaction du SEBC ne s'est pas faite attendre. Il travaille actuellement à l'unification et l'uniformisation de l'image de l'Eurosystème dans tous les pays de la zone euro. Cette politique tend à augmenter la visibilité de l'Eurosystème et la lisibilité de son message, tout en respectant l'identité propre des banques centrales nationales.
Les citoyens Luxembourg et la BCL
Mais revenons au Luxembourg. Le Parlement, représentant du peuple (et donc du public), s'est peu intéressé à la question monétaire jusqu'à présent. La Banque centrale a donc procédé à des sondages pour déterminer la perception de son action par le public. Certes les sondages ne remplacent pas les élections et ne sauraient donc valider ou rejeter les décisions prises par la Banque centrale. Dans cette optique, je tiens à répéter que le mandat de gouverneur de la banque centrale a été limité dans le temps. Mais les sondages nous permettent de nous situer au sein de notre pays et de ne pas faire abstraction de l'opinion publique.
Force est de constater que nous sommes moins bien connus du grand public. La BCL a évidemment un ancrage historique moins solide que la Sveriges Riksbank (1656) ou que la Banque de France (1800), mais certaines banques centrales nationales ont pu compenser un " historique " plus bref, comme la Bundesbank (1957).
La BCL souffre d'un manque de notoriété. En janvier 2002, 48% des sondés ne connaissaient pas la BCL. Ce score est passé à 74% en janvier 2003. En analysant ce dernier résultat par catégorie socioprofessionnelle on se rend compte que les " mieux " informés sont les personnes ayant fait des études de niveau supérieur à Bac + 3 (49% connaissent la BCL) ou se trouvant dans la tranche supérieure de revenu (37% nous connaissent). Ces résultats meilleurs que la moyenne étaient attendus, mais notre notoriété demeure très faible dans l'absolu. A noter qu'il n'y pas de disparité hommes-femmes. En ce qui concerne les tranches d'âge, la Banque centrale est pratiquement inconnue chez les 15-24 ans. Il faut cependant relever un point positif : parmi les 26% de sondés connaissant la BCL, 80% ont une bonne, voire très bonne opinion de la BCL. L'image de qualité est donc là. Il reste à la faire connaître.
Cette évolution est étonnante si l'on considère la campagne intensive menée par la Banque centrale pour l'introduction de l'euro. Cette campagne a été un véritable succès, car d'après un sondage de la Commission européenne de novembre 2002, plus de 90% des citoyens luxembourgeois déclarent avoir été bien, voire très bien (plus de 40% !) informés concernant l'euro. Le fait que la BCL ait focalisé sa communication sur l'euro, et non sur son identité propre, explique certainement en grande partie ces résultats. Au demeurant, ces chiffres négatifs sont difficiles à expliquer : sont-ils dus, par exemple, (1) à la méthode de sondage ou (2) à la confusion avec la Banque de Luxembourg ou la Banque Continentale de Luxembourg ou, comme évoqué pour l'Eurosystème, (3) à une communication inadaptée de la part de la BCL ?
(1) Il est trop tôt (à peine 1 an d'utilisation) pour évaluer, en collaboration avec notre partenaire, l'efficacité et la pertinence de la méthode de sondage. Changer les questions ou l'échantillon améliorera peut-être les valeurs absolues, mais pas l'évolution négative. D'une part, prolonger la série nous permettra d'affiner l'analyse des résultats actuels. D'autre part, la BCL a entamé une réflexion pour réaliser un sondage à caractère analytique sur un échantillon de population plus réduit. Ce sondage, en complétant les baromètres existants, permettra à la BCL d'évaluer plus précisément les raisons de sa faible notoriété.
(2) La confusion des noms de banques existe très certainement et sera également évaluée par ce sondage.
(3) Quant à la communication de la BCL, à l'heure actuelle, elle est constituée :
- De communiqués de presse et de conférences de presse, généralement bien répercutés dans la presse nationale ;
- D'interviews télévision et radio : 55 au total pour 2002 ;
- De publications papier (rapports annuels, bulletins et cahiers d'études). Ces publications sont principalement destinées à un public de financiers et d'économistes de la place financière, mais intéressent occasionnellement le grand public (p.ex. cahier d'études n°6 sur les pensions) ; et
- D'un site Internet, qui a été visité par plus de 100.000 contacts en 2002. Ces visiteurs cherchaient principalement des statistiques ou des informations concernant l'euro ou les produits numismatiques.
L'impact réel de ces vecteurs est difficile à déterminer. La polémique récente apparue entre la Régie Saint-Paul et RTL concernant les différentes études qui analysent le marché de la communication est éloquente. Cette controverse a fait apparaître la nécessité de mettre en place au Luxembourg une étude plurimédia capable de fournir des informations chiffrées, correctes et fiables concernant la pénétration de chaque média. Savoir quelle est notre cible est en effet un chose. Savoir par quel vecteur de communication cette cible peut être atteinte en est une autre.
Or le public luxembourgeois demande plus d'information. La moitié des sondés connaissant la BCL (pour mémoire 26%) se déclarent peu informés concernant ses activités propres. 78% déclaraient souhaiter recevoir plus d'information à ce sujet. Les 15-24 ans ont répondu favorablement à 96% ! Les personnes à bas revenu, et donc souvent les personnes ayant fait le moins d'études, sont intéressées à 100%. Cette demande n'étant apparemment pas satisfaite par la communication existante, il s'agit de trouver d'autres moyens de véhiculer notre identité comme par exemple :
- adapter la pédagogie utilisée pour l'introduction de l'euro à une communication institutionnelle. L'interactivité de la campagne euro a montré son efficacité. La précision technique des communiqués financiers a échoué ;
- préférer, dans un premier temps, l'efficacité à l'exhaustivité afin de combler le déficit de notoriété. Ceci revient à choisir un thème de campagne principal (naturellement la stabilité des prix), tout en acceptant d'en traiter d'autres ultérieurement (p.ex. les systèmes de paiements), une fois la notoriété améliorée.
La difficulté réside alors dans le choix d'un équilibre entre :
- une communication largement vulgarisée (s'adaptant au plus petit dénominateur commun), qui permettrait de toucher le plus grand nombre ; et
- la sauvegarde d'une image d'excellence et de professionnalisme de l'institution.
J'ai ainsi initié une réflexion sur l'élaboration d'une stratégie de communication avec le grand public. Déjà, une brochure de présentation de la Banque centrale sera publiée dans le courant de cette année. La formation est un axe que nous étudions également avec beaucoup d'attention. Nous avons d'ores et déjà offert une conférence aux professeurs en sciences économiques du pays. Ces derniers nous ont proposé de contribuer à la préparation de nouveau manuels. L'élaboration d'un certain nombre de cours - ouverts à d'autres publics sur base onéreuse ou de réciprocité - progresse également, même si la Banque centrale n'a pas vocation à devenir un centre de formation. Nous souhaitons également, à l'image d'autres banques centrales nationales, investir à moyen terme les écoles et les lycées. Un tel plan d'action très proactif complèterait la stratégie de communication " traditionnelle " de la BCL telle que je viens de vous la décrire.
Comme vous pouvez le constater, les sondages sont un outil essentiel pour la conception de notre stratégie de communication future. Les citoyens luxembourgeois sont encore peu habitués à la valeur de la stabilité monétaire. Notre devoir est de les sensibiliser à ce sujet. Peut-être que l'indexation des salaires leur donne le sentiment d'être immunisés contre l'inflation. C'est ici que je désire déborder du cadre initial de mon discours pour aborder les dernières prévisions économiques du Gouvernement.
Le programme de stabilité et de croissance du Luxembourg.
Avant toute chose, je voudrais relever le fait que le 27 novembre dernier, la Commission européenne a adopté une Communication relative au renforcement de la coordination des politiques budgétaires. Le Comité économique et financier a d'ailleurs bien accueilli ce document. Il pose certains principes visant à rendre l'application du Pacte de stabilité et de croissance plus efficace - sans le modifier. Je tiens d'ailleurs à rappeler à ce propos que la BCE estime que le Pacte est dans l'intérêt des Etats membres et qu'il contribue à la stabilité des prix. La Commission propose notamment d'accorder plus d'importance aux objectifs de déficit qui prennent en compte les cycles économiques. Elle propose également de s'intéresser davantage à la soutenabilité à long terme des finances publiques.
C'est au regard de ces propositions que je voudrais partager quelques réflexions concernant le programme de stabilité et de croissance que le Gouvernement luxembourgeois a déposé en janvier. Ce quatrième programme se fonde sur des prévisions effectuées par le STATEC. Ce dernier a élaboré un scénario pessimiste, un scénario optimiste et un scénario médian. Compte tenu de l'incertitude actuelle, notamment dans le secteur financier, le Gouvernement a établi son programme à partir du scénario pessimiste. De ce fait, la croissance du PIB retenue par le Gouvernement dénote un souci de réalisme dans le choix des hypothèses macroéconomiques.
Concernant 2002, le solde de l'ensemble des administrations publiques serait légèrement déficitaire. Cette évolution est principalement imputable à une détérioration du solde de l'Etat central, qui passerait de +2,6% en 2001 à -2,2% en 2002. Cette inflexion de près de 5 points de PIB est notamment due à la dégradation de la conjoncture, qui aurait occasionné 270 millions d'euros de moins-values fiscales et à la réforme fiscale de décembre 2001.
Le solde des pouvoirs locaux se détériorerait également de 0,8% et deviendrait négatif. Cette baisse est la plus forte observée au cours de la période 1990-2002. Le solde de la sécurité sociale connaîtrait lui aussi une évolution défavorable, puisque l'excédent passerait de 3,1% du PIB en 2001 à 2,2% en 2002. Cette dégradation n'est que partiellement due à l'évolution de la conjoncture. En effet, la majeure partie des recettes de la sécurité sociale dépend de la masse salariale et non directement de la conjoncture. Or la masse salariale a connu une augmentation appréciable en 2002. La détérioration du solde s'expliquerait donc plutôt par diverses mesures discrétionnaires accordées par l'Etat. La transposition des décisions du Rentendësch ont ainsi largement contribué à cette dégradation.
Les dépenses des administrations publiques considérées dans leur ensemble, qui regroupent l'Etat central, la sécurité sociale et les communes, auraient augmenté en 2002. Elles seraient passées de 9 200 millions d'euros en 2001 à plus de 10 200 millions en 2002. Cette augmentation de 11% aurait ainsi nettement dépassé la croissance nominale du PIB, qui devrait se cantonner à 1,4% en 2002 selon les auteurs du programme.
Concernant les années 2003 à 2005 et à la lumière des dernières projections de la BCL, le programme de stabilité est à première vue réaliste. D'une part, les prévisions de recettes se basent sur des hypothèses macroéconomiques prudentes. D'autre part, les autorités reconnaissent que les administrations publiques luxembourgeoises vont présenter un déficit de 2002 à 2005, en dépit des excédents de la sécurité sociale. Cependant, un examen plus minutieux met en lumière certaines imprécisions. Permettez-moi de souligner celles qui, à mon avis, constituent les principales sources d'incertitude.
En premier lieu, le programme prévoit une sensible amélioration du solde de la sécurité sociale au cours de la période sous revue. L'excédent passerait en effet de 2,2% du PIB en 2002 à 2,9% en 2005. Cette évolution n'est pas réellement en phase avec les projections de la BCL, qui s'appuient notamment sur un modèle de pensions. Selon ces projections, le surplus de la sécurité sociale devrait être inférieur à 2% du PIB tant en 2004 qu'en 2005, du fait notamment de la faible croissance de l'emploi en 2003 et en 2004. Dans ce contexte, le montant des cotisations sociales perçues par le régime général de pensions ne progresserait que d'environ 4% en 2003 et 5% en 2004, contre 8% en moyenne de 1990 à 2001. Bien qu'importants en termes absolus, les revenus du patrimoine engrangés par le régime de pensions sont en outre déforcés par un faible taux de rendement moyen. La réserve de compensation, qui atteignait quelque 22% du PIB à la fin de 2001, est en effet majoritairement composée de placements à moins d'un an, dont le rendement est forcément médiocre.
Mon second commentaire porte sur l'évolution des dépenses des administrations publiques. Telle que postulée dans le programme, elle semble en effet difficile à mettre en œuvre en l'absence de réformes structurelles. Après une brusque augmentation en 2002, le ratio des dépenses au PIB demeurerait proche de 47% en 2003 et en 2004, après quoi il déclinerait pour atteindre 45,6% du PIB en 2005. Ainsi, une très importante décélération de la croissance des dépenses devrait survenir pour assurer le respect des objectifs de dépenses du programme de stabilité. Alors que les dépenses se sont en moyenne accrues de près de 8% sur la période 1991-2001 et de 11% en 2002, elles ne progresseraient en effet que de 3,9% en 2003, de 3,3% en 2004 et de 2,7% en 2005 en termes nominaux.
Une telle maîtrise des dépenses serait tout à fait appropriée compte tenu, notamment, de la forte hausse observée dans un passé récent. Cependant, je doute qu'elle puisse être mise en oeuvre en raison, notamment, des facteurs suivants :
- Les investissements publics sont censés progresser de façon soutenue. Ainsi, ils devraient augmenter de 31,1% en 2003 selon les auteurs du programme de stabilité.
- En vertu de la dernière convention collective, les agents de l'Etat vont profiter d'une nouvelle revalorisation de leurs traitements, à raison de 1,6% en janvier 2004, suite à celle de 1,6% accordée en janvier de cette année.
- A politique inchangée, les dépenses de pensions, qui représentent environ un cinquième des dépenses totales des administrations publiques, devraient selon les projections de la BCL progresser de 8,4% en 2003, de 4% en 2004 et de 6,7% en 2005.
- Les prestations de soins de santé connaissent une croissance soutenue en raison, notamment, du coût des nouvelles technologies médicales et de l'accroissement du nombre d'assurés. Ainsi, le taux de croissance de ces prestations se serait établi à environ 9%, en moyenne, de 1998 à 2001.
Dans de telles circonstances, il paraît difficile de se conformer aux objectifs de dépenses du programme, du moins en l'absence de réformes susceptibles de ralentir la croissance spontanée des dépenses publiques. Une évolution des soldes moins favorable que prévu pourrait certes être contrée par un accroissement des recettes. Cependant, une hausse de la pression fiscale affecterait la compétitivité de l'économie luxembourgeoise au moment même où cette dernière est déjà confrontée à de nombreux défis.
Un effort structurel d'encadrement des dépenses se justifierait d'autant plus que le ratio des dépenses publiques au PIB s'est fortement accru ces dernières années. Alors qu'il n'atteignait que 42% du PIB à la fin des années quatre-vingt-dix, ce ratio se serait en effet établi à 47% en 2002. De ce fait, la dépense publique moyenne par habitant se serait montée à 23 000 euros par an au Luxembourg, soit environ le double du montant observé dans l'ensemble de la zone euro.
Ma troisième remarque sur le programme de stabilité est qu'il renferme une évaluation trop optimiste de la soutenabilité à terme du régime de pensions privé. Ainsi, il y est mentionné que " l'évaluation réalisée en 2001 par le Bureau International du Travail (BIT) a montré que la situation financière actuelle du régime général d'assurance pension du Luxembourg est solide et stable ". Même sous les hypothèses du scénario le moins optimiste du BIT, il est affirmé que " le système engendrera des excédents au cours des dix prochaines années et en conséquence, la réserve, ainsi que son niveau relatif, augmenteront ". Ceci élude le fait que l'accumulation des réserves dans les dix prochaines années résultera d'importantes arrivées de travailleurs frontaliers et étrangers qui occasionneront un net accroissement des prestations lorsqu'ils parviendront à l'âge de la retraite.
Par ailleurs, le programme occulte le fait que les projections du BIT ne prennent pas en compte les mesures du Rentendësch. D'importants enseignements du rapport du BIT sont également éludés. Ainsi, le BIT affirmait que sous le scénario pessimiste, " il n'y a aucune possibilité d'augmentation des prestations. Le Gouvernement devrait en revanche commencer à discuter très tôt de solutions pour combler le fort déséquilibre entre les dépenses et les cotisations qui naîtra durant la décennie à venir ". Le BIT soulignait également qu'" Il n'est pas recommandé de payer la " treizième pension ", ni d'augmenter les majorations forfaitaires de 10%, ni le taux de majoration de 1,78% à 1,90%. Ces mesures sont très coûteuses ". Le BIT affirme par ailleurs que " Puisque la réalité pourrait être moins favorable que ce que les hypothèses du […] scénario [optimiste] laissent penser, il est recommandé de réduire le niveau des dépenses du régime général d'assurance pension ".
Plus fondamentalement, les évaluations de la soutenabilité des finances publiques que renferment les programmes luxembourgeois de stabilité devraient être mises à jour plus régulièrement. L'actuelle évaluation repose en effet sur la première étude du BIT, effectuée avant même l'adoption des mesures de revalorisation des pensions. A terme, l'évaluation devrait aussi inclure les systèmes spéciaux de pensions, voire même le système de santé. Enfin, le Gouvernement devrait détailler diverses mesures susceptibles de contrer les facteurs de dérive de la situation budgétaire du système de pensions.
Le patrimoine que détient actuellement l'Etat central est certes à même de renforcer la soutenabilité des finances publiques luxembourgeoises. Au total, ces réserves se seraient montées à 3 120 millions d'euros ou 14% du PIB au 31 décembre 2001. Si ce niveau semble appréciable, il convient de ne pas surestimer l'importance de la marge de manœuvre correspondante. L'Etat central devrait en effet présenter un important déficit tout au long de la période 2002-2005, de sorte que le déficit cumulé atteindrait 10% du PIB en 2005, soit environ 70% des réserves enregistrées à la fin de 2001. Une telle situation pourrait devenir problématique si l'Etat enregistrait de nouveaux déficits après 2005. Si une certaine réduction du niveau des réserves peut se justifier en période de basse conjoncture, les fonds doivent cependant disposer de réserves significatives, afin d'être en mesure d'assurer le financement d'importants projets futurs. En outre, l'Etat central doit s'efforcer de conserver un fonds de roulement suffisant, qui lui permette de faire face à des besoins temporaires de liquidités.
Conclusion
Mon propos n'est pas alarmiste. Il contribue à la recherche de voies et de moyens pour parer à l'affaissement de notre dynamique économique. Se voiler les yeux et financer un rythme de dépenses compatible avec des entrées de fonds qui ont disparu dans l'espoir que ces sources jaillissent à nouveau comme avant est risqué pour une économie peu diversifiée. Et si la reprise tardait à venir ? Le coût de l'ajustement déféré tend à afficher une progression géométrique. Le réflexe conservateur semble s'amplifier avec l'opulence d'une société. Il faut espérer que nous pourrons maintenir, à l'inverse de nos voisins et malgré les échéances électorales, la cohésion et le consensus national nécessaires pour aborder les réformes qui garantissent la pérennité de notre situation tant enviée.
Je vous remercie de votre attention. Je suis à votre disposition pour toute question.