- Publications de la Banque centrale européenne
Le rôle de la Banque centrale du Luxembourg
par Monsieur Yves Mersch, Président la Banque centrale du Luxembourg
Devant des lycéennes de l'Ecole Privée Fieldgen et du Lycée Technique Sainte-Anne Ettelbruck, 11 avril 2005
Seule la parole prononcée fait foi
Membre du système européen de banques centrales (SEBC), composé des banques centrales nationales (BCN) des 25 Etats membres de l’Union européenne (UE) et de la Banque centrale européenne (BCE), la BCL a été créée 1er juin 1998, en même temps que la BCE. Jusqu’alors, le Luxembourg ne disposait pas de banque centrale, déléguant les charges incombant à une telle institution à la Banque nationale de Belgique (BNB). La création de la BCL n’a toutefois pas été une création ex nihilo, venant en remplacement de l’Institut monétaire luxembourgeois (IML).
Alors que la mission principale de la BCL consiste en la participation à l’exécution des missions du SEBC en vue d’atteindre ses objectifs, elle exerce également les tâches qui lui sont confiées par sa propre loi organique ou par d’autres textes législatifs, réglementaires ou conventionnels. La BCL opère aussi bien à un niveau supranational, celui de la zone euro, qu’à un niveau national.
Aujourd’hui, je vous présenterai les missions fondamentales de l’Eurosystème et le rôle joué par la BCL en son sein. La description de la participation de la BCL à ces travaux ne pourra pas être exhaustive, tant les domaines couverts, souvent de nature technique, sont vastes. Je me cantonnerai donc à vous présenter un peu plus en détail l’objectif principal de l’Eurosystème, la stabilité des prix, la définition et l’exécution de la politique monétaire ainsi que la question de la stabilité financière. Pour finir, j’exposerai brièvement les autres missions assurées par la Banque.
Le rôle principal de la BCL au sein de l’Eurosystème
L’Eurosystème, composé des BCN des 12 pays ayant adopté l’euro et de la BCE, a plusieurs missions fondamentales : la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire, la conduite des opérations de change, la détention et la gestion des réserves officielles de change des Etats membres, ainsi que la promotion du bon fonctionnement des systèmes de paiement. En outre, il contribue à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier. Il assure aussi la collecte des informations statistiques nécessaires à l’exécution de ses missions et l’émission de billets de banque dans la zone euro.
Objectif principal : la stabilité des prix
Alors que les missions incombant à l’Eurosystème sont multiples, son objectif principal est unique, la stabilité des prix. Néanmoins, sans préjudice de l’objectif principal, l’Eurosystème apporte également son soutien aux politiques économiques générales de la Communauté.
L’objectif principal de l’Eurosystème étant la stabilité des prix, il convient de s’interroger quant aux arguments justifiant une telle approche. Pour faire simple, dans un environnement de stabilité des prix, le marché alloue les ressources de manière efficiente. En effet, la variabilité des prix complique l’évaluation des prix. Cette incertitude accentue l’information imparfaite et augmente la probabilité de mauvaise optimisation dans les décisions individuelles des agents, autrement dit la probabilité d’une allocation non efficiente des ressources. Une politique de stabilité des prix crédible, axée sur le moyen à long terme, permet également un ancrage des anticipations, baissant les taux d’intérêt à long terme ce qui favorise l’investissement, la croissance et l’emploi. Enfin, la limitation de l’érosion monétaire (i.e. la perte de valeur de la monnaie) permet de conserver le pouvoir d’achat des agents économiques, favorisant la consommation, l’investissement et par ricochet la croissance et l’emploi.
La définition de la politique monétaire
Le Conseil des gouverneurs de la BCE, organe décisionnel quant à l’orientation de la politique monétaire unique et composé des six membres du Directoire de la BCE et des douze gouverneurs des BCN de la zone euro, a décidé de quantifier la stabilité des prix. Celle-ci est définie sur le moyen terme comme étant une progression annuelle de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) inférieure à, mais proche de, 2% pour l’ensemble de la zone euro. La quantification de l’objectif principal permet par conséquent aux agents économiques de faciliter leur appréciation de la performance de l’Eurosystème dans l’atteinte de son objectif principal. Le fait que la stabilité des prix se définisse par rapport à l’ensemble de la zone euro implique que le Conseil des gouverneurs n’agit pas en fonction de taux d’inflation existant dans les différents pays. La perspective du moyen terme souligne que la politique monétaire n’a pas d’effets à court terme sur les prix, tel que par exemple le prix du pétrole. Elle souligne également que l’impact d’une modification du taux d’intérêt officiel sur les prix se fait avec un décalage dans le temps d’en moyenne 12 à 18 mois. En conséquence, le dépassement dans le court terme du seuil de 2% ne constitue en aucun cas un déclencheur d’intervention automatique sur le taux d’intérêt officiel.
Enfin, il n’existe pas d’arbitrage à long terme entre l’inflation et la croissance. L’arbitrage, qui existe dans le court terme, engendre dans le long terme plus d’inflation sans croissance et emploi supplémentaires. Alors que les inflexions de la politique monétaire induisent un effet dans le court terme sur la production globale de la zone euro, la production retourne à terme à un niveau très proche de son niveau initial. En revanche, l’impact de la politique monétaire sur les prix est plus modéré dans le court terme, mais persiste dans le temps. Toute tentation d’utiliser la politique monétaire dans le court terme doit donc être évitée. C’est pour cette raison que la politique monétaire doit être confiée à une banque centrale indépendante, les pouvoirs politiques, en quête de suffrages dans le court terme aux échéances électorales, pouvant plus facilement céder à cette tentation.
Afin d’évaluer les risques pour la stabilité des prix, le Conseil des gouverneurs s’est doté d’une stratégie de politique monétaire fondée sur deux piliers. Le premier pilier comprend une analyse monétaire sur le long terme et vise, en résumé, à surveiller la croissance de la quantité de monnaie, car celle-ci est étroitement liée à la question de l’inflation. Le deuxième pilier de la stratégie consiste en l’analyse d’un large éventail d’indicateurs économiques et financiers pouvant donner des informations sur l’évolution future des prix.
L’exécution de la politique monétaire
Pour atteindre son objectif, la banque centrale n’exerce pas une influence directe sur les prix, mais plutôt sur les taux d’intérêt. Certains journalistes appellent cela le « loyer de l’argent ». La politique monétaire unique est ainsi fondée sur la fixation du niveau du taux d’intérêt à court terme et du volume des liquidités octroyées aux établissements de crédit et par ricochet aux particuliers et à l’ensemble de l’économie. En effet, la modification du taux d’intérêt appliqué aux banques commerciales, décidée par le Conseil des gouverneurs de la BCE, se répercute sur les conditions offertes à leurs propres clients.
Alors que les décisions sur les taux sont centralisées au niveau du Conseil des gouverneurs, l’exécution des décisions est décentralisée au niveau des BCN, ces dernières formant ensemble, sur un pied égalitaire, le bras opérationnel de l’Eurosystème. A noter ici qu’au sein du Conseil des gouverneurs, le principe du « un homme, une voix » est de rigueur, même si la décision par voie de consensus est privilégiée. Le Président de la BCL représente par conséquent une voix parmi 18 dans les décisions de politique monétaire. Cependant, je préciserais que chaque gouverneur prend part à ces décisions, non pas en tant que représentant de sa Banque ou de son pays, mais en sa capacité personnelle, en vue de prendre la meilleure décision pour la zone euro tout entière.
La BCL réalise donc des opérations sur les marchés financiers (opérations d’open market). Cela signifie en pratique qu’elle accorde des crédits contre des titres donnés en garantie par les contreparties de la BCL, à savoir les établissements de crédit de la place financière luxembourgeoise. Le taux d’intérêt pour les crédits principaux à court terme est le signal de politique monétaire le plus important. L’Eurosystème offre également aux établissements de crédit une possibilité de crédits à plus long terme et un système d’emprunt ou de dépôt de fonds au jour le jour.
Le seul instrument d’ordre réglementaire utilisé par la BCL est d’imposer aux établissements de crédit la constitution de réserves obligatoires sous la forme de dépôts en compte auprès de la BCL. En augmentant ou diminuant le montant de ces réserves obligatoires, la BCE et les BCN influent sur la nécessité pour les établissements de crédits de se refinancer auprès de leur BCN.
Ces opérations de politique monétaire au sein de l’Eurosystème sont véhiculées par un système de paiement appelé TARGET. Ce système est composé d’une interconnexion de systèmes nationaux de règlement brut en temps réel (RBTR). Au Luxembourg, ce système s’appelle LIPS-Gross. La BCL assure ainsi aussi bien le suivi des développements apportés aux systèmes existants que l’exécution des paiements.
Sur les marchés financiers, et encore plus dans le contexte des opérations de politique monétaire, les systèmes de paiement sont indissociables des systèmes de compensation et de règlement-titres. Le règlement des opérations sur titres implique deux flux : livraison de titres et paiement. Alors qu’initialement, la livraison de titres se faisait sous une forme physique, la grande majorité se fait aujourd’hui de manière dématérialisée, sous formes d’écritures comptables. Les titres sont localisés auprès de dépositaires centraux de titres.
Toute opération de crédit faite par l’Eurosystème à une contrepartie doit se faire contre une garantie sous forme d’actifs éligibles. Cette règle vise à protéger l’Eurosystème contre des pertes potentielles et à assurer l’égalité entre les contreparties. Au Luxembourg, Clearstream Banking est devenu le dépositaire national pour la BCL pour recevoir en dépôt les titres gagés par les banques commerciales.
La stabilité financière
La stabilité des prix et la stabilité financière sont deux pôles indissociables. La stabilité des prix, en ancrant les anticipations des agents, contribue à la stabilité financière. A l’inverse, l’instabilité financière peut compromettre la stabilité des prix. Ainsi, par exemple, une crise de change peut engendrer une dépréciation du taux de change et générer une inflation importée.
La mission attribuée au SEBC en matière de stabilité est double : contribuer aux politiques menées par les instances compétentes en matière de supervision prudentielle des établissements de crédit et de stabilité du système financier et promouvoir le fonctionnement sans heurts des systèmes de paiement.
Outre le suivi des, et la participation active aux travaux européens, la BCL a mis en place des indicateurs macroprudentiels ayant pour objet de suivre l’évolution globale du système financier luxembourgeois.
Durant six mois, de juin à décembre 1998, la BCL a incorporé l’activité de surveillance micro-prudentielle, c’est-à-dire des institutions financières individuelles. Ce sont les lois du 23 décembre 1998 qui ont confié la surveillance micro-prudentielle à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). En franchissant ce pas, le législateur n’imaginait-il sans doute pas que le Luxembourg serait le seul pays de l’Union européenne où cette séparation engendrerait une absence totale de coordination bilatérale entre la supervision micro-prudentielle et macro-prudentielle, cette dernière correspondant à la surveillance du système financier dans son ensemble et incombant traditionnellement à une banque centrale. Cette configuration institutionnelle a engendré une situation, non préméditée, où la stabilité financière ne revêt plus le statut de bien public, la segmentation ayant pris le dessus sur la coordination, à contre-courant du processus de globalisation financière en général et diminuant encore le faible poids du Luxembourg sur la scène internationale.
Les systèmes de paiement constituent la clé de voûte dans l’irrigation du tissu économique et des circuits financiers d’une économie. En permettant des paiements effectués de manière sûre et dans les délais requis, ils contribuent au bon développement économique et contribuent à la stabilité financière. Symétriquement, ils constituent une source importante d’instabilité financière. De par l’importance des montants acheminés par leur biais, un manquement d’une contrepartie peut provoquer un effet domino qualifié de risque systémique.
Au vu de l’importance de ces infrastructures pour le système financier, le législateur en a conféré la surveillance de principe à la CSSF et par exception à la BCL. Dans le cadre des systèmes de paiement auxquels elle participe, la BCL veille à la conformité des systèmes aux normes et recommandations internationales en vigueur.
Les autres missions de la BCL
L’émission et la mise en circulation de signes monétaires
Au-delà des fonctions qu’elle assure, moyen de paiement, réserve de valeur et unité de compte, la monnaie est un élément du ciment social. Ce rôle est devenu d’autant plus tangible depuis sa mise en circulation fiduciaire en 2002, forme qui incarne implicitement un élément essentiel inhérent à la monnaie : la confiance, nécessaire à l’acceptation d’une monnaie. Ainsi, les banques centrales ont une fonction primordiale à jouer dans la construction et la conservation du capital confiance liée à une monnaie :
- Garantir une érosion monétaire faible afin de garantir le pouvoir d’achat d’une monnaie ;
- Garantir la qualité et l’incorporation de bons éléments de sécurité dans les billets afin de favoriser leur longévité et d’assurer la protection contre la contrefaçon et ;
- Assurer une alimentation adéquate de l’économie en signes monétaires.
Tandis que le premier impératif constitue, nous l’avons vu, l’objectif principal de l’Eurosystème, les deux autres n’en demeurent pas en retrait, au contraire. Les signes de sécurité sont le fruit de techniques sophistiquées et font de l’euro un billet au moins aussi sûr que le plus sûr des billets ayant circulé précédemment dans les espaces monétaires nationaux.
La BCL émet et met en circulation les billets en euros, mais ne fait que mettre en circulation les pièces, pour le compte et au nom du Trésor de l’Etat, dont l’émission incombe à ce dernier à ce jour.
La production de statistiques
La BCL exerce également une fonction essentielle dans le cadre de la collecte de statistiques, indispensable dans la stratégie ainsi que dans l’exécution de la politique monétaire. Par exemple, la BCL compile les données nationales de l’indicateur monétaire large agrégées au niveau de la zone euro et constituant la base analytique du premier pilier de la stratégie de politique monétaire. Elle collecte et fournit aussi un grand nombre de statistiques économiques et financières à l’Eurosystème, utilisées dans le cadre du deuxième pilier. Dans le cadre de la politique monétaire, le calcul ainsi que le suivi des réserves obligatoires à constituer par les contreparties auprès de la BCL est primordial.
En sus, elle produit des statistiques sur la place financière dont l’utilisation est essentiellement cantonnée à un niveau national. Aussi, la BCL a-t-elle été chargée par le législateur de mettre en place, ensemble avec le Statec, la balance des paiements du Luxembourg. Au-delà d’un simple relevé statistique des transactions économiques d’une zone économique avec le reste du monde, la balance des paiements présente un intérêt majeur pour la politique économique.
L’analyse économique
La BCL, comme toute banque centrale, dispose d’un département de recherche. A ce titre, elle participe au débat économique national. Son indépendance lui permet de faire des analyses sans subir de pression politique. Les études produites par des agents ou des équipes de chercheurs sont le fruit de recherches effectuées dans le cadre du SEBC ou ciblées en fonction des débats économiques d’actualité au Luxembourg. Outre des cahiers d’études, la BCL publie son bulletin ainsi que son rapport annuel.
La coopération internationale et l’offre de services à des tiers
La BCL contribue également à la représentation du Luxembourg au niveau international à l’instar des autres banques centrales européennes. L’action de la BCL donne la priorité au contact multilatéral monétaire et financier avec une présence luxembourgeoise ainsi qu’au contact bilatéral avec les pays ou régions d’activité de la coopération nationale.
L’implication de la BCL porte aussi sur deux autres domaines : assistance technique et offre de services à des banques centrales ne faisant pas partie du SEBC ainsi qu’à des institutions internationales, voire supranationales. La BCL est, à titre d’exemple, devenue de par son expertise un acteur actif régulier et apprécié dans le cadre des séminaires organisés par l’ATTF (Agence de transfert de technologie financière). En termes de services financiers, la BCL offre pour les mêmes catégories d’institutions son savoir-faire en matière de gestion de réserves, de titres et de cash.
La coopération avec les acteurs de la place financière de Luxembourg
En tant qu’intermédiaire avec l’Eurosystème et institution ancrée dans le paysage financier luxembourgeois, la BCL tient à impliquer étroitement les acteurs économiques. Afin d’instaurer un dialogue à des fins d’information et de consultation, la BCL a mis en place divers comités de travail dont elle assure l’organisation dans les domaines des statistiques, des opérations de marché, des systèmes de paiement, des signes monétaires, des questions juridiques ou encore de l’informatique.